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NE COUPEZ PAS !


Pierre-Michel Bonnot - Contre-pied - L'Equipe - Dimanche 21 mai 2006

À SA MORT, LE GRAND-PÈRE du jeune Ugo avait
demandé à être enterré avec un marteau et le drapeau
de la Juve. Le drapeau, c’était pour emporter au paradis
sa fierté d’avoir été, toute sa vie durant, un fidèle supporter
bianconero ; le marteau, c’était pour appeler à
l’aide, au cas où le médecin de famille n’aurait pas eu
plus de conscience professionnelle qu’un arbitre de
finale de Ligue des champions.



À SA MORT, LE GRAND-PÈRE du jeune Ugo avait
demandé à être enterré avec un marteau et le drapeau
de la Juve. Le drapeau, c’était pour emporter au paradis
sa fierté d’avoir été, toute sa vie durant, un fidèle supporter
bianconero ; le marteau, c’était pour appeler à
l’aide, au cas où le médecin de famille n’aurait pas eu
plus de conscience professionnelle qu’un arbitre de
finale de Ligue des champions.

S’il était encore là pour constater l’ampleur des outrages
faits à la Vieille Dame, probable que le grand-père du
jeune Ugo rêverait d’écraser son marteau sur le sommet
du crâne d’oeuf de l’infâme Luciano Moggi. Pas sûr qu’il
brûlerait le drapeau de la Juve.

C’est que là où les scandales éloignent l’électeur de la
politique ils ne font que renforcer l’amour du supporter
pour son club.

C’est en cela, d’ailleurs, que les tripatouillages de
l’infâme Moggi, vivante publicité
pour l’instauration d’une loi officialisant
le délit de sale gueule, sont particulièrement
débectants, et l’on se
félicite que la justice italienne, avec
un sens du spectacle qui n’appartient qu’à elle, intervienne
aujourd’hui avec une belle vigueur.

« La justice, disait d’ailleurs Michel Audiard, c’est
comme la Sainte Vierge, si elle n’apparaît pas de temps
en temps, le doute s’installe. »

Oui, pour l’inaltérable candeur des supporters de la Juve
interviewés l’autre jour dans ces colonnes par l’épatant
Yoann Riou, notre correspondant à Turin, le répugnant
petit parasite du Calcio mérite bien tous les feux de
l’enfer.

Pour la race grouillante de tous les profiteurs du sport,
il mérite même une punition retentissante, disproportionnée,
injuste s’il le faut. Vingt ans ferme, assortis
d’une privation de costards en soie, de lunettes de soleil
de marque et de l’ablation de tous ses téléphones portables.

On sait, c’est rude, mais il ne faut pas mollir.
On entend déjà d’ici des voix bien intentionnées insinuer
qu’on peut aussi compter le journaliste sportif parmi
les profiteurs du sport. On connaît la chanson, elle est
généralement chantée par le banc de petits poissons à
dos argenté qui rôdent autour des champions, au point
que ceux-ci finissent parfois par la reprendre comme
une rengaine.

Outre qu’on emmerde tous ces petits macs, qu’ils
sachent bien que la majorité de la race des journalistes
de sport se sent beaucoup plus proche des passions supportrices
que des dérives des puissances dirigeantes et
qu’à l’exception d’un point de vue privilégié sur les événements
sportifs ces profiteurs supposés ne profitent
généralement pas de grand-chose qui vaille.

Ah, bien sûr, certain de nos confrères, dans le foot en
particulier, finissent par craquer et sautent un jour le pas
pour une carrière présidentielle. Le besoin de passer de
l’autre côté du miroir et de sonder la vase pour voir s’ils
ont pied, l’impérieuse envie de participer
plutôt que de témoigner, sans doute.

Mais, pour la grande majorité d’entre
nous, rien ne vaut le plaisir de transmettre.
Transmettre l’émotion, l’information, les sensations,
la (bonne) parole des acteurs du sport. C’est pourquoi
Raymond Domenech, grand communiquant
putatif en panne totale de communication, a tort quand
il évoque les « états d’âme des médias français » à propos
de ses commentaires qu’il a cru bon de réserver à la
petite minorité des énervés des nouvelles technologies
téléphoniques.

Car ce n’est pas avec les médias que le sélectionneur
s’est conduit comme un pignouf, c’est avec la France
entière, celle des supporters prêts à se faire enterrer
demain avec leur drapeau.

Et qu’importe si, pour finir, l’ensemble de ses passionnantes
considérations techniques (« Entre Barthez et
Coupet, c’était du cinquante-cinquante ») aurait pu
tenir sur un seul SMS.

PIERRE-MICHEL BONNOT

CONTRE-PIED


Mercredi 24 Mai 2006