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Jean-Luc Cornia: 'un plus qu'aucune autre compétition ne possède'

De retour des jeux de la Francophonie, profondément humain


L'aventure de la sélection de l'AWBB partie défendre les couleurs de la Communauté française aux jeux de la Francophonie à Niamey (Niger) du 5 au 17 décembre est restée dans un relatif anonymat. Dommage. L'expérience est pourtant d'une richesse inouïe, à plus d'un titre. Entre expérience internationale pour joueuses belges et expérience humaine garantie, Jean-Luc Cornia tire le bilan d'une quinzaine inoubliable.



Lettre ouverte

Jean-Luc Cornia (photo: Funkidsbasket.be)
Jean-Luc Cornia (photo: Funkidsbasket.be)
Faire un "debriefing" d’une compétition de niveau mondial comme les jeux de la Francophonie est indispensable. Cette compétition ouvre des opportunités qu’aucune administration, aucune Fédération sportive ne peut se priver.

Néanmoins, en tant qu’éducateur, mettre en exergue prioritairement l’aspect sportif serait trahir les combats que je mène depuis pas mal de temps pour élargir la vision de sport et du basket en particulier.

C’est la raison pour laquelle, il m’est impossible intellectuellement de ne pas consacrer ce debriefing aux individus rencontrés à Niamey.


Jean-Luc Cornia: 'un plus qu'aucune autre compétition ne possède'
Si certains ont mis en avant un côté moralisateur «voyeurisme occidental» et se sont offusqués de notre participation à ces jeux dans un pays miné par la famine,
si cette prise de position a bien failli avoir raison de notre volonté, aujourd’hui, je leur réponds que leur attitude traduit bien un mode de pensée occidental: la suffisance issue de la non connaissance.

Avant les jeux, le Niger, c’était quatre mots pour moi: PauvretéFamineIllettrisme et Analphabétisme.

C’est sur base de ces quatre mots que j’ai foulé la première fois le sol de Niamey et que j’ai refoulé les premiers contacts avec les habitants.

Mais, au fur et à mesure que l’eau du Niger s’écoulait le long de Niamey, j’ai rencontré et découvert des gens simples, riches et généreux, instruits et surtout d’une éducation à faire envie beaucoup d’entre nous.

Que ce soit Boubacar, ce professeur d’anglais de 35 ans dont le rêve est de venir étudier en Belgique les sciences de l’éducation, ou Ibrahim, ce collègue inspecteur de l’enseignement qui m’a honoré en me remettant son mémoire sur l’apprentissage de la lecture et les projets éducatifs qu’il veut mettre en place ou Adamou, ce gamin de 18 ans qui nous a donné une fameuse leçon d’esprit critique et d’intelligence un soir, après un match ou encore Kader, ce jeune professeur d’éducation physique qui a créé son école de basket pour filles dans laquelle on dénombre 55 enfants et … 11 ballons dont aucun ne serait utilisé ici en Belgique, que ce soient Cissé, Abdoulay, Gibrylle, Lucien et tous les autres dont je ne parle pas, à leur contact, j’ai dégusté, j’en ai pris plein la tête et plein les yeux.

Jean-Luc Cornia: 'un plus qu'aucune autre compétition ne possède'
Je ne nie pas la pauvreté, ni l’illettrisme mais par contre, ils vivent et entretiennent des valeurs dont nous parlons beaucoup en Belgique mais que l’on pratique rarement. Je veux parler de la solidarité, de l’esprit critique, de l’autonomie ou encore de la coopération.

Et dire qu’à cause de l’égoïsme de certains qui font passer leur intérêt personnel avant l’intérêt collectif, j’ai failli ne jamais rencontrer ces Grands Hommes de la Rue,
et dire que des filles ont été «punies» pour avoir représenté et porté bien haut les couleurs de la Communauté française de Belgique et parce que rien ne peut s’arranger,
et dire que, peut-être, jamais personne ne prendra le temps d’écouter ce que ces gens nous ont dit …

Une fois de plus, nous risquons de passer à côté de l’essentiel … Gormosso mon frère… mosso-mosso !

Jean-Luc Cornia: 'un plus qu'aucune autre compétition ne possède'
Le dernier moment fort qu’il m’a été donné de vivre fut à la fois teinté de joie et de tristesse.
Lors du voyage de retour vers l’aéroport de Niamey, Aurélie, 16 ans, pleure à chaudes larmes en regardant ces inconnus lui faire signe et la saluant en riant. Elle pleure de rage contre elle, elle pleure et exprime sa rage en ces termes: "je me plains tout le temps, je râle tout le temps sur le terrain … et quand je vois ces gens qui n’ont rien, qui n’ont pas d’argent, qui me font signe et qui rient, j’ai honte de moi."

Oui Auré, t’as raison mais dis-toi bien que ce que tu exprimes, c’est ta plus belle victoire de ces jeux. Certain que Boubacar et les autres seraient émus par tes paroles.

Je trouve que c’est dans l’attitude d’Aurélie (mais j’aurai pu citer Fanny, Inès ou encore notre cap Catherine), qu’il faut puiser les ingrédients pour construire nos basketteuses de demain avant de s’efforcer de les construire «techniquement».

Pour tout ce que cela apporte à nos basketteuses en herbe, les jeux de la Francophonie sont indispensables et incontournables et représentent un plus qu’aucune autre compétition à laquelle j’ai participé ne possède.

Jean-Luc Cornia



Vendredi 23 Décembre 2005